lundi 8 juin 2020

France - Des OGM autorisés... bientôt interdits

Le 6 mai 2020, le gouvernement a notifié à la Commission européenne trois projets de textes réglementaires destinés à modifier la législation française sur les OGM et la liste des variétés autorisées à la commercialisation. D’ici début août, le premier de ces textes doit encore être soumis à l’avis du Haut Conseil des biotechnologies et mis en consultation publique. En l’état, le gouvernement français prévoit de déclarer que les techniques de « mutagénèse aléatoire in vitro », comme toute mutagénèse dite « dirigée », donnent des OGM réglementés. Il a identifié une centaine de variétés contenant un même caractère de tolérance aux herbicides obtenu par une technique donnant des OGM réglementés.
Le 7 février dernier, le Conseil d’État écrivait que « tant les techniques ou méthodes dites «  dirigées » ou «  d’édition du génome  » que les techniques de mutagénèse aléatoire in vitro soumettant des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques ou physiques » donnent des OGM qui doivent être soumis à la législation européenne [1]. Il donnait ainsi raison, contre le gouvernement, aux organisations de la société civile qui attendaient cette décision depuis dix ans et avaient fini par engager un recours juridique en 2016. Et il donnait six mois au gouvernement pour rendre la loi française conforme à la loi européenne.

Un contenu conforme

Pour reprendre les mots du Conseil d’État, la première étape pour le gouvernement est de fixer « par décret pris après avis du Haut Conseil des biotechnologies, la liste limitative des techniques ou méthodes de mutagénèse traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps » [2].
Dans son projet de décret, rendu public par la Commission européenne [3], le gouvernement prévoit donc de déclarer que la mutagénèse aléatoire donne des OGM exemptés des requis de la loi, à l’exception de la « mutagénèse aléatoire in vitro consistant à soumettre des cellules végétales cultivées in vitro à des agents mutagènes chimiques ou physiques ». Les produits issus de mutagénèse aléatoire appliquée sur cellules cultivées in vitro, comme ceux de toute mutagénèse dite « dirigée », sont donc, pour la France, des OGM réglementés qui devraient être évalués, autorisés, étiquetés et suivis.
Dans son projet de décret, le gouvernement a pris soin de légiférer sur les semis réalisés cette année. Ainsi, les variétés qui « ont été semées ou implantées avant la date de leur inscription sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l’agriculture, (...) peuvent être menées à terme ». Les cultures implantées avec des variétés non étiquetées OGM lors du semis pourront donc être récoltées bien qu’en infraction avec la décision du Conseil d’État. Rien par contre n’est encore précisé au sujet de la commercialisation de leur récolte : sera-t-elle autorisée par dérogation, interdite, étiquetée, non étiquetée ?

Des variétés bel et bien identifiées

Le Conseil d’État a également imposé au gouvernement d’identifier dans le catalogue les variétés obtenues par des techniques de mutagénèse donnant des OGM réglementés, et d’en annuler leur inscription. Concrètement, le gouvernement ne peut radier du catalogue européen, compilation de tous les catalogues nationaux de l’Union européenne, que les variétés que l’État français y a lui-même inscrites et non celles inscrites par d’autres pays. Le gouvernement a donc notifié à la Commission deux arrêtés. Le premier liste 96 variétés (voir le tableau ci-dessous) enregistrées au catalogue européen par d’autres pays que la France et «  issues de mutagénèse aléatoire in vitro consistant à soumettre des cellules végétales cultivées in vitro à des agents mutagènes chimiques ou physiques  ». Pour ces variétés, le gouvernement indique qu’elles « seront interdites à la commercialisation et à la mise en culture en France, faute d’avoir été évaluées et autorisées au titre de la règlementation relative aux OGM » [4]. Le second annule l’inscription de sept d’entre elles sur une liste du catalogue français concernant des variétés dont les semences destinées à la mise en marché en-dehors de l’Union européenne peuvent être multipliées sur le territoire français [5].
Dans tous les cas, il s’agit uniquement de variétés de colzas, aucune autre espèce n’ayant été identifiée par le gouvernement français comme issue de mutagénèse dirigée ou de mutagénèse aléatoire in vitro telle que définie par le décret. Dans le message accompagnant la notification de l’arrêté listant toutes ces variétés, le gouvernement précise bien qu’il s’agit de « variétés de colza tolérantes aux herbicides, commercialisées sous le nom de colza Clearfield » pour lesquelles « la méthode d’obtention décrite dans la bibliographie correspond à cette technique ». L’identification des variétés obtenues par mutagénèse aléatoire in vitro, a minima documentaire, est donc bel et bien possible malgré les affirmations contraires maintes fois répétées des promoteurs d’OGM. À l’occasion de diverses manifestations, la Confédération Paysanne et les organisations de la société civile avaient aussi pointé du doigt ces colzas Clearfield, publications scientifiques à l’appui. Il est difficile à ce stade de savoir si le gouvernement français s’est contenté d’identifier les seules variétés pointées par la société civile... L’avenir répondra à cette question, si des variétés d’autres plantes devaient être à leur tour identifiées.

Le gouvernement veut-il restreindre la portée du décret ?

Certains détails contenus dans le projet de décret pourraient avoir des conséquences. Il en est ainsi de la définition qui précise que la mutagénèse aléatoire in vitro consiste « à soumettre des cellules végétales cultivées in vitro à des agents mutagènes chimiques ou physiques ». Avec cette définition, le gouvernement propose de fixer dans la loi un extrait des attendus de la décision du Conseil d’État. Ce dernier détaillait que « les techniques de mutagénèse aléatoire in vitro soumettant des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques ou physiques [...] sont apparues postérieurement à la date d’adoption de la directive 2001/18/CE ».
Le Conseil d’État ne présentait pas une liste exhaustive des techniques concernées, mais donnait simplement des exemples. Le gouvernement propose finalement une définition de la mutagénèse aléatoire in vitro qui pourrait être lue comme impliquant obligatoirement l’utilisation d’agents mutagènes chimiques ou physiques. Or, une des techniques de modification génétique mise en œuvre in vitro est la variation somaclonale. Cette technique vise à générer de nouvelles variétés en induisant des mutations par la seule mise en culture in vitro de cellules. Le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (Gnis) la présentait dans une version précédente de son site internet, comme étant «  la modification observée chez certaines cellules, après un long cycle de cultures in vitro sans régénération [...] Cette variation peut être due à une modification du génome nucléaire ou du génome des organites cytoplasmiques ». Mais, précisait-il, elle est peu utilisée « par les sélectionneurs car on ne peut prévoir la variabilité créée. De plus, les modifications de caractères obtenues sont peu stables et ne se retrouvent pas toujours dans la plante régénérée, ou dans sa descendance ». Sur son site actuel, il n’est plus question de modification mais d’une «  variation des caractères génotypiques parentaux de cellules végétales somatiques en culture in vitro ».
La variation somaclonale in vitro pourrait-elle être considérée légalement comme n’étant pas une technique de mutagénèse aléatoire in vitro si le décret devait être adopté dans sa forme actuelle ? Un élément de la réponse sera de savoir si les éléments chimiques utilisés dans le milieu de culture in vitro sont des agents mutagènes ou non.
Le second détail est tout aussi stratégique. Pour l’instant, la loi française liste des « techniques […] qui ne sont pas considérées comme donnant lieu à une modification génétique » parmi lesquelles se trouvent « la mutagénèse » et d’autres techniques comme la fusion cellulaire, l’autoclonage, l’induction polyploïde [6]...
Avec son projet de décret, le gouvernement cherche à maintenir la confusion entre les techniques qui ne sont pas considérées comme produisant des OGM et celles qui produisent des OGM exemptés. Le projet de décret prévoit en effet de modifier la loi française pour qu’elle établisse non plus la liste des « techniques […] qui ne sont pas considérées comme donnant lieu à une modification génétique » mais la liste des « techniques […] qui ne sont pas considérées comme donnant lieu à une modification génétique ou qui ont fait l’objet d’une utilisation traditionnelle sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l’environnement ».
La conséquence immédiate est qu’il ne sera plus possible de savoir si une technique se trouve dans cette liste car elle ne donne pas lieu à une modification génétique ou si elle donne des OGM exemptés des requis de la loi car utilisée depuis longtemps sans risque. Une distinction pourtant faite par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui autorise les États à réglementer au niveau national les OGM exemptés du champ d’application de la réglementation OGM européenne et non les plantes issues de techniques qui ne sont pas considérées comme donnant lieu à une modification génétique [7].

Un avis du HCB et une consultation publique à venir

En donnant six mois pour que le décret soit adopté, le Conseil d’État a imposé que ce texte paraisse avant le 7 août 2020. En notifiant à la Commission européenne le 6 mai 2020 son projet de décret, le gouvernement français a déclenché une procédure dite de statu quo au cours de laquelle des commentaires peuvent être faits sur le site de la Commission européenne jusqu’au 7 août 2020, précisément à la fin du délai fixé par le Conseil d’État. Dans l’intervalle, le gouvernement français doit également organiser une consultation publique en France comme l’indique le projet de décret lui-même. Une consultation publique nationale qui, selon nos informations, n’a pas encore été lancée. Enfin, le gouvernement doit obtenir, pour le décret, l’avis du Haut Conseil des biotechnologies comme le lui impose la loi française.
Quelles seront les réponses de la Commission européenne et des États membres aux projets de décret et d’arrêtés présentés par la France ? La question n’est pas anodine. Le Conseil d’État n’a d’autorité qu’en France et ses décisions ne s’imposent pas aux autres pays européens. Si certains pays de l’Union n’appliquent pas la même décision, les textes français pourraient créer un obstacle commercial au sein du marché unique en interdisant de commercialiser en France des variétés autorisées dans d’autres États membres. Si une telle objection est faite dans le cadre de la procédure de notification européenne, dont l’objectif est justement de « prévenir la création d’obstacles au commerce », quelle sera la réaction de la Commission ? Et comment le gouvernement français mettra-t-il alors en œuvre la décision du Conseil d’État ? À l’inverse, si aucune objection n’est faite, il pourrait alors être compris que les autres États membres ne voient pas de distorsion de concurrence. Peut-être auront-ils eux-mêmes commencé à radier de leur catalogue les variétés obtenues par mutagénèse aléatoire in vitro… ou pas ?
Enfin, quid des contrôles aux frontières si on ne peut pas commercialiser les mêmes variétés dans plusieurs États membres si les variétés interdites de commercialisation en France restent au catalogue européen ? Et quid de la commercialisation des produits qui en sont issus ? Le sujet ne peut décidément plus échapper au débat européen.


[5Arrêté modifiant le Catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France (semences de colza et autres crucifères), (notification 2020/0282/F).
[6Code de l’environnement, article D. 531-2, 2ème paragraphe, point a
[7Pour la législation européenne, la fécondation in vitro, la conjugaison, la transduction, la transformation ou l’induction polyploïde sont des techniques ne donnant pas des OGM alors que la mutagénèse et la « fusion cellulaire de cellules végétales d’organismes pouvant échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles » donnent des OGM exemptés de l’application de la réglementation. À ce jour, pour la loi française, ces techniques ainsi que, pour les micro-organismes, l’infection de cellules vivantes par les virus, viroïdes ou prions ou l’autoclonage « ne donnent pas lieu à une modification génétique ».