Témoignage
de Guy Kastler au procès d’Yves Meunier à Perpignan le 15 octobre
2020
Paysan
dans le Minervois héraultais où j’ai cultivé la vigne et élevé
des brebis pour produire du vin et des fromages, je suis aujourd’hui
retraité. Membre de la Confédération paysanne que je représente
au Comité Technique Permanent de la Sélection des plantes et au
Comité Économique, Étique et Social (CEES) du Haut Conseil des
Biotechnologies (HCB) depuis sa création en 2009, je viens ici
expliquer pourquoi mon syndicat soutient Monsieur Yves Meunier et les
faucheurs volontaires qui ont agi à Elne en 2016 pour faire
respecter la loi et l’intérêt général.
Leur
action ne résulte pas d’un coup de tête isolé, mais doit être
replacée dans son contexte. Depuis 15 ans, les entreprises
semencières développent et diffusent en effet illégalement des OGM
tolérant aux herbicides en déclarant qu’il ne s’agit pas d’OGM,
mais de variétés traditionnelles qui ne génèrent aucun risque.
Leur objectif est de contourner la réglementation européenne qui,
depuis 1997, rejette toutes les demandes d’autorisation de culture
d’OGM rendus tolérant aux herbicides en raison des dommages
qu’elle engendre pour la santé, l’environnement et les autres
cultures. Ces dommages sont largement démontrés dans les pays qui
ont accepté leur culture et par des centaines de publications
scientifiques.
C’est
d’abord de la santé des agriculteurs et de leurs salariés dont il
est question. Ils sont en effet les premiers en contact avec les
herbicides dont la toxicité n’est plus à démontrer. Leur caisse
d’assurance, la MSA, reconnaît que nombre d’entre eux souffrent
de maladies graves directement liées à l’usage de ces substances
toxiques. Mais les agriculteurs ne sont pas les seuls menacés.
Bien
qu’ayant toujours travaillé en agriculture biologique, donc sans
herbicides, je suis aussi concerné. Comme tous ceux qui l’ont
analysé, j’ai en effet dans mes urines un taux de glyphosate
supérieur à ce qui est autorisé dans l’eau potable. Un article
du Monde du 15 janvier 1997
révélait déjà que l’INRA « a
constaté qu’il tombe sur la région
(en Bretagne) une
pluie chargée de désherbants dont le taux dépasse les normes
européenne établies pour la potabilité de l’eau ».
L’INRA explique que, lors des épandages, 25 à 75 % des
herbicides ratent leur cible et
se retrouvent dans l’eau des rivières. Et,
lorsqu’il fait soleil, « la
plupart des herbicides se fixent sur les molécules d’eau et
transitent dans l’atmosphère par simple évaporation »…
pour retomber à des dizaines ou centaines de km plus loin
avec l’eau de pluie, jusqu’à trois mois après la saison
d’épandage. Il n’y a aucune raison que ces phénomènes se
produisent uniquement en Bretagne et non autour d’Elne, notamment
dans la zone humide protégée proche des champs cultivés par les
tournesols de NIDERA, située sous le vent dominant. Mais
curieusement, ces évaluations de l’INRA n’ont pas été
poursuivies et les herbicides continuent depuis à être épandus
sans aucun thermomètre permettant de mesurer leur dispersion.
Je
développerai d’abord l’inaction systématique et l’obstruction
du gouvernement sur ce sujet. Je reviendrai ensuite sur les
glissements sémantiques utilisés par les sociétés NIDERA et BASF
pour contourner les lois, avec la complicité des autorités.
Les
premières cultures de tournesol Clearfield sont arrivées en France
en 2010. Dès 2009, la Confédération Paysanne a interpellé, avec
ses partenaires et les faucheurs volontaires, l’institut technique
agricole qui avait mis en place des expérimentations dans le Gard,
puis le gouvernement. Le Ministère de l’Environnement nous a très
rapidement reçu et a déclaré partager nos inquiétudes. Le
gouvernement a saisi l’INRA et le CNRS qui ont publié en 2011 les
résultats d’une expertise collective confirmant l’augmentation
de l’utilisation des herbicides qui accompagne la culture des VrTH
et la nécessité de mettre en place une politique de maîtrise des
risques qu’elles génèrent pour la santé et l’environnement.
Le
HCB a ensuite organisé une journée consacrée aux OGM rendus
tolérants aux herbicides. Les échanges ont confirmé ces risques
ainsi que l’absence d’évaluation et de politique permettant de
les maîtriser, mais ils n’ont fait l’objet d’aucun avis
officiel. Le HCB s’est contenté de publier une note sur
l’expertise INRA/CNRS concluant que le développement de VrTH
déclarées OGM sera rendu impossible du fait du surcoût de la
coexistence et de la traçabilité des filières se surajoutant au
surcoût des semences et des herbicides.
En
décembre 2012, le Ministère de l’agriculture a triomphalement
annoncé la signature d’une charte de bonnes pratiques de cultures
des VrTH. Mais cette charte n’est qu’un nuage de fumée. Elle
engage en effet que les vendeurs de VrTH et d’herbicides et non
ceux qui les cultivent et les utilisent. Le Verbatim des auditions de
l’ANSES en 2017 nous apprend que l’application de cette charte
par BASF a consisté à interroger une année sur deux 78
agriculteurs, par une enquête téléphonique de 18 minutes portant
sur leur satisfaction, l’efficacité de ses VrTH, leurs pratiques
de maîtrise des adventices et d’utilisation des herbicides. BASF
indique n’avoir fait aucun état des résistances
des adventices sur les
parcelles choisies, alors que
l’apparition de ces résistances est le premier indicateur des
risques des VrTH, puis rajoute
que « la quasi-totalité des agriculteurs connaît au
moins une des bonnes pratiques ».
Cela
est plutôt inquiétant pour les nombreuses autres bonnes pratiques
indispensables à la maîtrise des risques des
VrTH et il n’est pas
étonnant que les Ministère de l’agriculture puisse déclarer que
les remontées du suivi des culture de VrTH ne révèle aucun
problème.
Le
10 décembre 2014, la Confédération Paysanne et 8 organisations
paysannes, environnementales et citoyennes ont saisi le Premier
Ministre d’une demande préalable de moratoire sur les cultures de
VrTH et de rectification de la législation OGM française pour la
rendre conforme à la réglementation européenne et permettre son
application aux VrTH obtenues par diverses techniques de mutagenèse
rentrant dans son champ d’application.
Le
16 décembre, l’EFSA, le JCR (consortium de laboratoires européens
sur les OGM), le HCB et le Ministère de l’Environnement ont
organisé à Paris un séminaire sur les VrTH où de nombreux
intervenant ont confirmé la nécessité de maîtriser les risques
engendrés par leur culture.
En
février 2015, le Parlement a débattu d’un projet de loi demandant
un moratoire sur les VrTH. Le 4 mars, la Ministre de l’Environnement
a suspendu ce débat en annonçant son intention de saisir l’ANSES
de cette question.
Le
4 mars, en l’absence de réponse du Premier Ministre, nous avons
saisi le Conseil d’État.
Le
22 février 2016, la Ministre de l’environnement a saisi le HCB
pour lui demander de proposer un encadrement juridique des OGM
obtenus par les nouvelles techniques de mutagenèse autre que celui
de la directive européenne 2001/18. Face à l’évidente illégalité
d’une telle question, la Confédération Paysanne et 6 autres
organisations agricoles et environnementales ont refusé d’être
obligées d’y répondre et ont démissionné du Comité Économique,
Éthique et Social du HCB.
Le
9 juin 2016, le Conseil d’État a organisé une audience
contradictoire suite à notre saisine. À la stupéfaction générale,
le Ministère de l’agriculture a indiqué qu’il n’existait pas
de surveillance d’éventuelles apparitions d’adventices rendues
tolérantes aux herbicides, ni dans les cultures de VrTH ni à
proximité de ces cultures, mais uniquement sur les quelques
parcelles du réseau national de surveillance biologiques du
territoire implantées sans aucun lien avec l’emplacement des
cultures de VrTH. Le 3 octobre, le Conseil d’État a saisi le CJUE
de 4 questions préalables.
Le
25 juillet 2018, la CJUE a nous a donné raison en confirmant que les
plantes obtenues par de nouvelles techniques de mutagenèse sont des
OGM réglementés.
Le
17 janvier 2019, le tribunal de Dijon a confirmé la légitimité de
nos interrogations en relaxant les faucheurs volontaires qui avaient
neutralisé un essai de VrTH de colza Clearfield de BASF car
l’instruction n’avait pas établi que ces colzas ne sont pas des
OGM réglementés.
Le
26 novembre 2019, l’ANSES a rendu son avis sur les VrTH en
formulant des recommandations en matière d’évaluation des risques
liés aux VRTH. Mais, contrairement aux promesses ministérielles de
2015, le Parlement n’a pas repris ses débats sur la proposition de
loi de moratoire sur la base de cet avis.
Le
7 février 2020, le Conseil d’État nous a donné raison à son
tour en précisant que, si les plantes obtenues par des techniques
traditionnelles ne sont pas soumises à la réglementation OGM,
celles issues de techniques « de mutagenèse dirigée et de
mutagenèse aléatoire in vitro soumettant des cellules de plantes à
des agents mutagènes chimiques ou physiques » produisent
des OGM réglementés. Il a enjoint au Premier Ministre de modifier
en conséquence le code de l’environnement et, dans le même délai
de 6 mois, « de prendre les mesures nécessaires à la mise
en œuvre des recommandations formulées par l’ANSES en matière
d’évaluation des risques liés aux VRTH » afin
de prescrire des conditions de culture appropriées. Il
confirmait ainsi d’une part
que les VrTH
de colza Clearfied issus
de culture in vitro de
cellules de pollen sont bien
des OGM réglementés commercialisés
en toute illégalité malgré les mensonges de BASF affirmant qu’ils
sont issus de techniques de sélection traditionnelles et d’autre
part que la culture des VrTH
de tournesol doit être réglementée.
Pendant
toute cette période de 2010 à 2020, nous n’avons jamais cessé
d’alerter les pouvoirs publics pour réclamer l’application de la
réglementation et les faucheurs volontaires ont multiplié leurs
actions de désobéissance civique dans le même but. Les cultures de
VrTH de tournesol ont de leur côté continué à progresser jusqu’à
atteindre 180 000 ha selon les déclarations de firmes, sans que le
gouvernement ne prenne aucune nouvelle mesure ni pour évaluer et
maîtriser les risques, ni pour appliquer la réglementation OGM aux
variétés concernées.
La
raison de notre démission du HCB ayant été supprimée par le
Conseil d’État, nous avons repris notre place au sein de son CEES
avec 4 autres organisations démissionnaires et avons activement
participé en juin 2020 à la rédaction de sa recommandation portant
sur le projet de décret soumis par le gouvernement en application
des injonctions du Conseil d’État. Mais aujourd’hui, plus de 2
mois après la date limite fixée par le Conseil d’État, le
gouvernement n’a exécuté aucune de ses injonctions. Nous l’avons
en conséquence saisi à nouveau lundi dernier pour non exécution de
ces décisions, au risque de perdre à nouveau de nombreuses années
en procédures.
Qu’en
est-il des VrTH de tournesol d’Elne ? Elles sont destinées à
la production de semences hybrides elles mêmes destinées à être
commercialisées. La société NIDERA qui en est propriétaire est
un très ancien partenaire de BASF qui commercialise illégalement
des colza OGM. BASF commercialise aussi des tournesols Clearfield et
Clearfield Plus. Quand on les interroge sur les procédés
d’obtention de ces tournesols, NIDERA et BASF évoquent des
méthodes traditionnelles et l’apparition « spontanée »
d’un mutant « naturel » dans un champ de soja du
Kansas. Il ne manque que la musique country pour rendre ce récit
publicitaire plus crédible.
Selon
l’INRA et le CNRS, ces mutants spontanés sont certes « à
l'origine des hybrides de tournesol Clearfield® de BASF (…),
mais nécessitent un
deuxième gène pour obtenir une tolérance complète aux
imidazolinones ».
D’où
vient ce deuxième gène ? L’Agence
canadienne de santé indique
qu’il est porté par une lignée obtenue par mutagenèse. Mais elle
ne dit pas s’il s’agit d’une technique de mutagenèse
traditionnelle
ou réglementée
OGM. Le
rapport de l’ANSES, dans sa version de 2019, dit que « le
tournesol Clearfield Plus tolérant à l’imazamox est obtenu
également par mutagenèse in vitro ». Curieusement,
2 mois plus tard une nouvelle version du même rapport indique que,
selon les données transmises par BASF France division Agro, « le
tournesol Clearfield Plus tolérant à l’imazamox est obtenu par
mutagenèse in vivo ».
Il est vrai que, entre ces deux dates, le Conseil d’État a précisé
que les techniques de mutagenèse appliquées sur des cultures de
cellules végétales in
vitro
produisent des OGM réglementées. On
peut dès
lors se
demander si ce sont les déclarations de BASF ou ses procédés
d’obtention qui sont à géométrie variable suivant les évolutions
réglementaires ?
Le
verbatim
des déclarations de BASF à l’ANSES précise dans
une note bas de page que
« le
caractère de tolérance herbicide Clearfield Plus tournesol lancé
en 2016 est protégé par un brevet ». Cette
précision explique la variabilité des déclarations de BASF. En
effet, si
son tournesol Clearfield Plus est issu d’une technique
traditionnelle, il n’est pas brevetable et ses concurrents peuvent
librement copier son procédé d’obtention. Mais pour être
brevetable, il doit être issu
de techniques de génie génétiques donnant des OGM réglementés.
Selon
le
brevet WO2007005581 accordé
en 2007 à NIDERA et
BASF pour
un tournesol résistant aux herbicides, l'invention
concerne des plants, des
cellules,
des
polynucléotides
(brins
d’ADN ou d’ARN)
de
tournesol
de
type sauvage, donc
non brevetables, mais
aussi transgéniques ou non transgéniques.
Cette invention porte également sur des cassettes d'expression et
des vecteurs de transformation comprenant les polynucléotides de
l'invention ainsi que sur des plants et des cellules hôtes
transformées par ces polynucléotides, c’est
à dire par
des
techniques de génie génétique transgéniques
ou non transgéniques brevetables.
Le
brevet décrit ensuite de nombreuses méthodes
utilisables
pour obtenir ces
plantes, ces cellules et
ces polynucléotides parmi
lesquels figurent tout autant des procédés essentiellement
biologiques non brevetables donnant des plantes non OGM que des
procédés brevetables de mutagenèse appliquée sur des cultures in
vitro
de cellules végétale produisant des OGM réglementés.
NIDERA,
aujourd’hui
racheté par SYNGENTA,
et
BASF peuvent
ainsi, selon les besoins, déclarer
avoir utilisé l’une ou l’autre de ces techniques :
lorsqu’il s’agit d’obtenir leur brevet et
de revendiquer des droits de licence, leur tournesol est issu de
techniques appliquées sur des cellules cultivées in
vitro
produisant
des OGM réglementés ;
mais pour les demandes de mise en marché, il est issu de techniques
traditionnelles
non
OGM et non brevetables. Et
comme
les autorités qui accordent les
autorisations de mise en marché ne cherchent jamais à vérifier
leurs
déclarations,
malgré les brevets et les rapports de l’ANSES à géométrie
variable sur ce sujet, NIDERA
et
BASF
poursuivent tranquillement leurs petites manœuvres. Ils ne sont pas
seuls. Ce mois-ci, la société CIBUS qui commercialise en Amérique
du Nord un soja OGM selon la réglementation européenne a elle aussi
modifié ses déclarations et indiqué qu’il avait en fait été
obtenu par une technique qu’elle
estime non
OGM. Sans doute souhaite-t-elle pouvoir exporter en Europe ?
Les
tournesols
d’Elne sont-ils ou non des OGM non déclarés, donc cultivés
illégalement ? La
réponse est toujours cachée derrière les déclarations
contradictoires de
NIDERA et
de
BASF et
la complicité active
des
pouvoirs publics.
Ce sont dans tous les cas des VrTH dont la culture devrait depuis
longtemps être réglementée et qui ne l’est toujours pas.
Face
à de
telles
manœuvres et
obstructions
au service d’intérêts financiers privés,
la
Confédération Paysanne ne peut que
soutenir l’action de désobéissance civile d’Yves
Meunier et des
faucheurs volontaires au
service de l’intérêt général.